Le 7e débat public du conseil de circonscription a porté, jeudi soir, à Vaugneray, sur la réforme des retraites, en présence d’environ deux cents personnes. Durant plus de trois heures, les échanges ont, certes, souvent été vifs, mais chacun a pu s’exprimer pour donner son avis sur cette réforme.
« Un bel exercice démocratique avant le débat à l’Assemblée nationale », selon le député de la circonscription Thomas Gassilloud. En effet, le projet de loi est en examen par les députés dans l’hémicycle depuis le lundi 17 février 2020.
“Défi réussi !” A l’issue d’un débat public mouvementé, jeudi 13 février, à Vaugneray, Fabienne Tirtiaux, suppléante du député, peut enfin souffler, soulagée. Durant plus de trois heures et en présence de quelque deux cents personnes, dont certaines venant de loin, au-delà des limites de la circonscription, la réunion sur la réforme des retraites, organisée avec l’aide précieuse des citoyens du conseil de circonscription, n’aura pas été un long fleuve tranquille… Dans une ambiance souvent tendue, les échanges ont parfois été musclés mais chacun a pu donner son avis sur le sujet, alors que le texte doit être examiné par les députés dès ce lundi 17 février, à l’Assemblée nationale.
Avant le débat, une manifestation se forme devant la salle des fêtes, avec des slogans hostiles au gouvernement et à la réforme. Le député sort de la salle pour aller saluer chaque manifestant et proposer à chacun d’entre-eux de participer au débat public. A 19h30, le débat commence. D’entrée, le député excuse le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, qui l’a prévenu en début de semaine de son absence. Olivier Dussopt — “l’un des meilleurs connaisseurs de la réforme”, de l’avis du député du Rhône — a été contraint d’annuler son déplacement à Vaugneray.

Après avoir dressé un historique rapide des diverses réformes des retraites, Thomas Gassilloud a rappelé, en introduction, les grands principes de ce projet de réforme et quelques grands chiffres, dont l’investissement consacré aux retraites : 325 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget de l’Etat et 14% du PIB : c’est plus de trente fois le budget de la Justice ou plus de 7 fois celui de la Défense : “une vraie solidarité intergénérationnelle” pour, aujourd’hui 16 millions de retraités (un quart de la population) ; un âge moyen de départ à la retraite à 63,4 ans dans le régime général ; et une pension moyenne à 1400 € nets. “Le système est aujourd’hui difficilement lisible avec 42 caisses de retraites. On a un peu de mal à comprendre comment tout cela fonctionne. Les plus jeunes s’inquiètent du financement de leurs pensions », a-t-il reconnu. D’où le projet de système universel de retraite “pour essayer de créer un dispositif plus simple, plus lisible et plus juste afin de préserver une France de solidarités. Une France où chaque travailleur finance fièrement les retraites de ses parents. En sachant que quand viendra leur tour, leurs enfants les aideront à vivre décemment leur retraite”.
Dans une vidéo spécialement tournée pour l’occasion, Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé de porter ce projet, a salué l’engagement citoyen des membres du conseil de circonscription et rappelé ses grands principes, dont l’universalité et la solidarité.
Ce lien avec les acteurs de l’exécutifs en charge de la réforme permettra au député Thomas Gassilloud de rapporter directement au Secrétaire d’Etat les attentes des citoyens exprimées ce soir-là.
Les quatre intervenants de la soirée se sont ensuite présentés :
- Patricia Courtial, directrice adjointe en charge de l’assurance retraite CARSAT Rhône-Alpes ;
- Claude Vagneck, secrétaire général de l’union locale CGT ;
- Pierrick Aillard, secrétaire général de la CFDT Auvergne-Rhône-Alpes ;
- Robert Verger, vice-président de la FNSEA en charge des affaires sociales, viticulteur.
Après une présentation du système actuel des retraites et quelques mots sur le fonctionnement des Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), les représentants syndicaux entrent, à tour de rôle, dans le vif du sujet. “Ce projet est celui du démantèlement de la Sécurité sociale, afin de livrer aux appétits du monde de la finance son énorme budget !”, estime le représentant de la CGT qui craint une baisse des pensions et donc, du pouvoir d’achat, et ouvre la voie à une retraite par capitalisation.
Par la voix de Pierrick Aillard, la CFDT, elle, entend défendre le système par répartition, “un pacte social entre les générations, universel, contributif et solidaire, où les accidents de parcours sont compensés”. “Le gouvernement a commis une première erreur en menant de front une réforme systémique qui amenait potentiellement de la justice, et un prisme financier. Autres erreurs : il a privilégié une logique d’affrontement là où le dialogue et la recherche du compromis auraient permis de mieux avancer ; et a tenu un discours culpabilisant à l’endroit des régimes spéciaux tout en maintenant des règles particulières pour d’autres professions. Enfin, il a justifié sa réforme par une étude d’impacts fleuve, inutilisable et fait le choix de limiter le débat parlementaire essentiel”. Pour les deux représentants, le projet de loi n’insiste pas assez sur la pénibilité.

Robert Verger (FNSEA) rappelle, pour sa part, les difficultés du monde agricole, “très mal loti en matière de retraites”, la moyenne des retraites agricoles s’élevant à 780 € par mois. “On est la charrue à la traîne ! Comment vivre avec des retraites aussi faibles ?” Et d’approuver, haut et fort, la retraite minimale à 85% du Smic, soit 1000 € dès 2022… “mais on a encore du travail à faire”, notamment pour les générations entre 1963 et 1975” qui, en l’état, ne sont pas concernées par la réforme.
Dans le public, un actif s’inquiète de l’augmentation croissante de l’âge de départ à la retraite. “Quand on atteint l’âge de 65 ans, on a en moyenne une dizaine d’années d’espérance de vie en bonne santé”, répond un autre, sous la désapprobation de la salle. Un peu plus tard, une jeune femme rappelle “qu’une personne très pauvre sur quatre meurt avant de partir à la retraite. Et une personne sur cinq pour les revenus modestes”.
Le financement des retraites fait débat. “C’est un projet de société, lance une mère de famille. Si le financement des retraites doit dépasser les 15% du PIB, qu’est-ce que ça change, pourvu qu’on vive correctement ?” Un homme affublé d’un chasuble rouge de la CGT rappelle la “règle d’or” qui fixe au maximum à 14% la part allouée au PIB pour le financement des pensions, “ce qui signifie qu’on s’apprête à faire baisser la part du gâteau attribuée à chacun, dans un avenir très proche. On doit s’attendre à un appauvrissement global des futurs retraités”, avertit-il, avant de dresser un constat : “Pendant que la part des retraités a augmenté de 50%, la productivité du travail a été multipliée par 7 ! Où est cet argent ? Il s’agit surtout d’un problème de répartition des richesses…” Pour Claude Vagneck (CGT), “il y a de l’argent : la fraude fiscale est estimée à 80 milliards ! Faites embaucher, Monsieur le député, des fonctionnaires dans les contrôles fiscaux, ça ne va pas coûter bien cher mais ça va remplir les caisses de l’Etat”, lance-t-il sous les applaudissements. Pour cette fonctionnaire, “c’est tout notre système de protection sociale qu’il faut défendre : on est vraiment aujourd’hui devant un choix de société qui dépasse la seule question des retraites. On ne lâchera rien !”.

Dans l’assistance, quelqu’un se plaint d’une réforme “floue, incomprise et rejetée par une majorité de la population”. “Ma demande, Monsieur le député, c’est de vous opposer à ce texte car vous allez le voter en notre nom, avant même d’avoir fini les négociations ! Ce texte n’est pas votable ! Vous êtes censé nous représenter !”, sous les acclamations du public. Une dame se lève : “Bien sûr que nous voulons un système plus juste, plus équitable, mais pas celui que vous nous proposez, car vous ne savez pas ce que vous nous vendez !” Avant de rappeler qu’en 2006, la Suède a mis en place la retraite par points et “depuis, le pourcentage de retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté est passé de 10 à 15% et le pourcentage de Suédois de plus de 67 ans obligés de travailler est passé de 18 à 38% !”
Deux jeunes femmes, l’une kinésithérapeute, l’autre podologue, se font les porte-parole des professions libérales et paramédicales. “L’ensemble de nos cotisations et de nos charges représente aujourd’hui 50%; voire plus, de notre chiffre d’affaires. En faisant passer, comme le prévoit la réforme, nos cotisations de 14% à 28%, il nous resterait donc à peine plus d’un tiers de ce que nous gagnons, sachant que nos tarifs sont fixés par la Sécurité sociale. Bon nombre d’entre nous vont fermer leurs cabinets et tous les Français en seront impactés !” Un abattement de la CSG est envisagé en compensation. A condition qu’il soit pérenne dans le temps, ce dont elles doutent. D’autant “qu’il a été jugé inconstitutionnel”, affirme l’une d’elles… “Vous nous avez mis la corde autour du cou et vous allez tirer dessus ! C’est insupportable !”, lance la seconde, en implorant le député du Rhône, elle aussi, à voter contre ce projet “abject pour les libéraux”. Un avis pleinement partagée par une des membres du conseil de circonscription, avocate de profession, qui plaide sa cause, dans un cri de désespoir.

Il est 23 heures passées, si la soirée n’a pas permis de faire converger tous les avis, elle aura au moins permis à chacun de s’exprimer. Chacun se retrouve autour d’un verre de l’amitié pour poursuivre les débats d’une manière plus conviviale. A l’Assemblée nationale, la discussion ne fait que commencer avec un examen du projet de loi en séance publique à partir de ce lundi 17 février.
