“Un thème pas facile et une qualité de conversation extraordinaire”, pour cette dame de Messimy ; “Une très bonne initiative pour permettre aux citoyens de s’exprimer sur un sujet très délicat”, pour cet autre de Pomeys. “Toutes les opinions ont pu être représentées et chacun a pu poser ses questions”, félicite une autre participante venue de Brignais. Venus de toute la circonscription, quelque deux cents personnes ont assisté, jeudi 28 novembre, dès 19h, au grand débat thématique — le sixième, après l’éducation à Saint-Genis-Laval ; la sécurité à Craponne ; le numérique à Charbonnières-les-Bains ; la transition énergétique à Saint-Symphorien-sur-Coise ; et l’accès aux soins à Saint-Laurent-de-Chamousset — autour de la réforme des lois de bioéthique, organisé par le conseil de circonscription du député Thomas Gassilloud.

Les 6 intervenants de cette rencontre
Un beau succès au vu des échanges nourris, dans une ambiance relativement sereine, tout au long d’une soirée qui s’est prolongée jusque tard dans la nuit, après 3h30 de débats; mais aussi dû à la qualité des intervenants invités pour l’occasion :
- Le Pr. Jean-Louis Touraine, député du Rhône, rapporteur du projet de loi bioéthique ;
- Le Pr. François Chapuis, directeur de l’Espace de réflexion éthique Auvergne Rhône-Alpes (EREARA) ;
- Elodie Camier-Lemoine, philosophe ;
- Nina Scalisi, juriste ;
- Anaïs Daronnat, déléguée départementale Vita, une association opposée au projet de loi.
A ceux là, après l’accueil du maire, Damien Combet s’est ajoutée une 6e invitée, et pas des moindres, en la personne de Nicole Belloubet, ministre de la Justice. Excusée, la Garde des Sceaux a toutefois tenu à adresser un message en vidéo : “La bioéthique est un thème central pour nos sociétés, rappelle-t-elle. Une loi de bioéthique est un cadre unique qui fixe un équilibre entre les formidables avancées permises par la science et les limites imposées par le respect de la personne humaine. J’attends le retour de vos échanges que me transmettra votre député”.
Introduction par Nicole Belloubet du débat public sur la bioéthique
Thomas Gassilloud le reconnaît dans son introduction : “On est dans un monde où la technologie avance à une vitesse phénoménale, elle apporte des bienfaits en matière notamment de santé, mais tout ce qui est faisable n’est pas forcément souhaitable”. Il revient donc au législateur d’encadrer l’utilisation de ces technologies nouvelles. D’où la réforme actuelle des lois de bioéthique qui s’inscrit dans un processus de révision régulier, depuis 1994. Tous les 5 ans désormais (et non plus 7 ans), comme l’a rappelé le Pr. François Chapuis, pour qui il est nécessaire de réfléchir à la bioéthique en permanence, et non simplement à chaque révision des lois.
Avant de lancer le débat dans la salle, une petite explication de texte s’impose. Sur le plan philosophique et éthique, d’abord : “Quel monde voulons-nous pour demain”, interroge d’emblée Elodie Camier-Lemoine, paraphrasant la devise des Etats généraux de la bioéthique organisés sur tout le territoire national, en 2018. “Et de quelle humanité voulons-nous pour demain”, poursuit-elle. Nina Scalisi a exposé, elle, le cadre juridique, dressant un état des lieux succinct dans les quatre domaines concernés par l’actuelle réforme des lois de bioéthique : le don d’organes (anonymat, gratuité, consentement), l’intelligence artificielle (protection des données de santé), la recherche génétique (l’interdiction des tests dits “récréatifs”, c’est-à-dire déconnectés du parcours de soin) et la procréation médicalement assistée (PMA) avec son ouverture aux femmes seules et aux couples de femmes. Quatre thématiques dont l’assistance a été amenée à s’interroger par écrit, en début de soirée, en posant ses questions sur des post-it répartis sur quatre tableaux différents. Le conseil de circonscription a repris là une méthode qui avait fait ses preuve, en début d’année, à l’occasion du Grand Débat national.

Une participante exprime son point de vue sur la bioéthique
Prenant à son tour la parole, Anaïs Daronnat prend la défense du “plus fragile”, à commencer par l’embryon dont la recherche est “de plus en plus facile” : “On assiste aujourd’hui à un déni de la dignité de cet embryon”, mais aussi “de notre espèce humaine” : “La science est capable de reprogrammer une cellule souche de rein en gamète ! Ce n’est pas encore autorisé, mais demain, votre petit-fils pourrait naître d’une gamète artificielle dont la filiation serait issue d’un rein !”, lance-t-elle. Et que dire de l’implantation de cellules humaines dans un embryon animal : “Je pense qu’il est important de préserver ce qui fait notre humanité”, estime-t-elle. Pire, la déléguée départementale de l’association Alliance Vita considère que “notre pays est le plus eugéniste au monde” en supprimant des embryons atteints de certaines maladies ou malformations…
Pour le député Jean-Louis Touraine, il n’y a pas, dans le domaine de la bioéthique, de “vérité absolue”, mais des choix issus de visions différentes “dont on espère qu’ils apporteront un mieux à l’espèce humaine”. “Acceptons très humblement la subjectivité de ces choix proposés”, dit-il, tout en rappelant les choix “radicalement opposés” de la France, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Italie ou de la Grande Bretagne, “alors que nous partageons une culture commune”.
Le débat est lancé. Il a porté, tout au long de la soirée, sur chacune des quatre thématiques de la réforme. Avec, parfois, quelques remous dans la salle. Lorsque, par exemple, le rapporteur du projet de loi, Jean-Louis Touraine, rappelle qu’en termes de droit, “l’embryon n’est pas un être humain, mais un être humain potentiel”. “J’ai eu le malheur de perdre trois enfants en fausses couches, lui répond une maman. Je peux vous assurer, M. Touraine, qu’à partir de la seconde où vous sentez que vous êtes enceinte, vous savez que vous avez un bébé dans le ventre, pas un embryon !”, sous les applaudissements. Plus tard, un homme agacé se lève : “Donnez la parole à Mme Daronnat !”, peste-t-il…

Le député Jean-Louis Tourain prend la parole
En matière de don d’organes, les questions ont abordé le consentement présumé, le risque de marchandisation des organes ou encore la communication : comment donner envie de “donner envie” de donner ses organes ? Peut-être en travaillant sur une information plus constante. Une étudiante s’interroge sur les limites du don : “Peut-on faire un don de tous nos organes ? J’ai entendu parler de don de tête, il y a quelques années… Quant au don de coeur, il me pose problème car on met alors à l’arrêt un coeur d’une personne pour le transplanter sur une autre.” La question de mort cérébrale s’invite, elle aussi, au débat : “Il n’y a pas de doute, rassure M. Touraine. Quand le cerveau est mort, l’humain est mort.”
Sur la question de l’intelligence artificielle, une participante s’inquiète de la dérive transhumaniste, celle de “l’homme parfait”. “Toutes les découvertes ne méritent pas d’être appliquées, loin s’en faut, assurer Jean-Louis Touraine, mais ça ne justifie pas l’arrêt de la recherche scientifique. Personne ne voit d’objections à ce que des personnes paraplégiques puissent marcher grâce à des électrodes très sensibles et un exosquelette.”
Dans le domaine de la recherche génétique, quelqu’un s’inquiète des discriminations liées à la génétique. “Elles sont punies par la loi”, répond la juriste. Une autre s’inquiète de la création de chimères mi-homme mi-animal. “L’introduction de cellules animales dans l’embryon humain est interdite, rassure le rapporteur de la loi. Mais le contraire existe depuis assez longtemps avec, par exemple, des souris humanisées qui ont un système immunitaire humain sur lesquelles ont pu être développés les traitements contre le Sida.” Quitte à briser, selon Anaïs Daronnat, “la sacralité de l’humain” et à “jouer les apprentis sorciers”.
Se pose aussi la question du diagnostic pré-implantatoire : le cadre est limité par la loi, des tests pouvant être effectués sur l’embryon pour déterminer s’il n’est pas atteint d’une anomalie génétique. Quelqu’un évoque aussi les OGM : “On n’en veut pas !”, lance-t-il. Sauf que… “Quand un enfant a une maladie génétique très grave, on fait aujourd’hui des thérapie géniques qui conduisent à la création d’OGM dans leurs cellules et personne ne les conteste !”, répond M. Touraine.

Les interventions du public s’enchainent…
Enfin, sans doute le sujet le plus attendu de la soirée : la procréation médicalement assistée. Dans l’assistance, une dame s’inquiète d’une ouverture, pour les couples d’hommes, à la GPA (gestation pour autrui), compte tenu du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. “En matière de procréation, on ne peut pas dire qu’un couple de femmes ou un couple d’hommes soit égal à un couple hétérosexuel, les situations sont différentes”, répond la représentante de l’association Vita. “Il n’y a pas d’égalité, confirme le professeur Touraine. Les femmes peuvent procréer, pas les hommes.” A moins de proposer aux hommes des… greffes d’utérus : “Dans le milieu transgenre, des hommes sont actuellement capables de porter des enfants !”, assure un médecin dans la salle. “Non, en France, il n’y aura jamais de greffes d’utérus chez l’homme, affirme M. Touraine. Il ne faut pas faire fantasmer les gens ! Restons les pieds sur terre, les hommes n’enfantent pas !”
Quid, par ailleurs, des enfants sans père ? “Leur épanouissement est tout à fait complet et normal, assure haut et fort, le député rapporteur de la loi, décidément au centre de toutes conversations. Pas une seule étude n’est arrivée à trouver la moindre différence entre tous ces enfants. Pas une seule ! Vous avez droit de ne pas le croire, mais vous n’avez pas le droit de ne pas accepter le raisonnement rationnel et scientifique. Ne confondez pas la croyance et la connaissance !” Mais Anaïs Daronnat en doute : “Je ne sais pas comment une étude peut déterminer si un enfant sans père est heureux ou pas, moi-même en tant que psychologue, je ne peux pas le dire. Collectivement, cela veut dire qu’on prive délibérément ces enfants de père. Cela veut dire aussi que les hommes ne sont plus nécessaires. Pour tous les pères qui sont ici, vous ne servez donc plus à grand-chose pour les enfants !”
Pour le professeur Touraine, les médecins sont depuis longtemps confrontés à des questions relatives à la santé, bien plus qu’au traitement de maladies : la médecine scolaire, la prévention, la médecine du travail, les vaccins, la chirurgie réparatrice et esthétique, l’IVG, la compensation de la stérilité par la PMA dans un couple hétérosexuel… “C’est pourquoi je pense que l’Assurance maladie devra demain, s’appeler l’Assurance santé”, commente Jean-Louis Touraine qui tient à se montrer rassurant : “N’ayez pas peur du progrès”, conclut-il, sous les quolibets du public.
“Vous êtes des philocognififs, l’autre mot pour dire des surdoués car vous aimez penser, réfléchir”, félicite, pour finir, François Chapuis, à l’adresse du public, après plus de trois heures trente de discussions passionnées. Le directeur de l’Espace de réflexion éthique Auvergne Rhône-Alpes salue cet “exercice de débat démocratique donc éthique”, tout en invitant les uns et les autres à poursuivre ce débat. Thomas Gassilloud le confirme : “En tant qu’élu, ces échanges sont extrêmement précieux pour faire progresser nos réflexions”. “Il faut avoir confiance en nos institutions pour arriver, à l’échelle de notre pays, à faire les choix qui rassemblent le plus largement possible et trouver ensemble nos règles de vie commune.”

La ministre de la Justice attend déjà, “avec impatience”, le fruit des réflexions des citoyens à l’issue de ce débat. Thomas Gassilloud ne manquera pas de lui en faire part, ces prochains jours, alors que la loi, en cours de discussion au Sénat, doit être votée au printemps 2020.
Voici un aperçu en vidéo de ce débat.