Les citoyens du conseil de circonscription (CDC) peuvent être fiers d’eux. Leur 9e débat public, le 2e en visioconférence compte-tenu du contexte sanitaire a réuni, ce lundi 16 novembre, dès 19h30, quelque 70 participants. Les témoignages des exploitants agricoles de la circonscription, invités pour l’occasion par les membres de l’atelier “Agriculture et Alimentation” du CDC, ont nourri les réflexions de chacun, le temps d’une rencontre par écran interposé sur la thématique des “circuits courts de proximité”. Une façon pour le CDC de “mieux connaître les attentes des consommateurs et producteurs de notre circonscription ; comprendre le circuit de la production jusqu’à nos assiettes ; et découvrir l’inventivité des producteurs pour s’adapter au confinement”.
Mission accomplie. Une véritable satisfaction pour Christian Raquin, un des membres du CDC, qui sait, en tant qu’infirmier de profession, que “s’alimenter est non seulement un besoin essentiel, c’est aussi un soin”. Et pendant deux heures d’échanges, chacun a pris soin d’écouter les interventions successives d’une dizaine d’agriculteurs locaux, mieux saisir leur passion commune pour leur métier et appréhender parfois, leurs difficultés. L’un d’eux a d’ailleurs manqué à l’appel, une de ses bêtes ayant décidé de vêler au même moment ! Excusé, il a dû renoncer à participer à cette soirée pour des raisons professionnelles : le témoignage, par son absence, et si l’on en doutait encore, d’un métier exigeant, fait trop souvent de sacrifices et d’abnégation, même en pleine soirée.
Thomas Gassilloud, qui a participé à la réunion depuis son bureau à l’Assemblée nationale, n’en a pas raté une miette, lui non plus. Il est sorti de la réunion avec quelques sujets de réflexion à creuser davantage : le modèle économique agricole, la législation, les contraintes sanitaires, la complexité administrative notamment pour accéder aux marchés publics (la liste est loin d’être exhaustive). “Je suis là pour m’inspirer de vos commentaires et faire remonter vos propositions”, se décrivant volontiers comme “une courroie de transmission, un maillon entre le territoire et les décisions nationales”.
Du pain sur la planche aussi, pour le conseil de circonscription qui n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. Les citoyens vont continuer de défricher le terrain : d’autres rencontres sur la thématique sont à prévoir avec, en toile de fond, l’organisation d’un grand débat l’an prochain… en présentiel. On croise les doigts.
En attendant, nous vous livrons ici un condensé des interventions de la soirée.
Viande et lait / produits transformés
1. Murielle et Benoit Ronzon – viande d’agneau brebis (Saint-Clément-les-Places)
Le couple qui s’est installé dans les Monts du Lyonnais début 2015, élève 280 brebis sur une propriété d’une trentaine d’hectares à Saint-Clément-les-Places. Mais pas que : quatre mois par an, c’est l’aventure de la transhumance, dans les alpages, direction les monts du Forez ou les Alpes, c’est selon, en été. “Nous vendons chaque année environ 450 agneaux, les deux tiers en vente directe, en dépôt-vente à Craponne ou en caissettes, pour les marchés, comme à Brignais”, témoigne Benoît qui a aussi une expérience dans le maraîchage. “Du coup, on produit aussi des pommes de terre et des courges qu’on vend à des restaurateurs et à des épiceries”, poursuit-il. Ce qui lui permet, in fine, de trouver un équilibre aujourd’hui “entre la charge de travail et la rentabilité”. Même si ça n’a pas été facile…
2. Nicolas Ferrand – lait de chèvre et produit dérivés (Coise)
Éleveur de 70 chèvres sur un domaine d’une vingtaine d’hectares à Coise, Nicolas transforme aussi sur place le lait qu’il produit (fromages frais, affinés et à pâte pressée). Depuis cinq ans, il a fait le choix de la vente directe à 100%… “malgré pas mal de difficultés à l’installation pour développer les ventes et rentabiliser, reconnaît-il. J’ai tout construit, il a fallu faire face à des investissements assez lourds. La vie est dure, on se donne corps et âme avec mon épouse, nous n’avons pas pris de week-end et de congés depuis longtemps.” Pourtant, le confinement a eu un effet positif sur les ventes. “Oui, le confinement nous aide, reconnaît-il. Mais on ne devrait pas attendre une telle situation pour qu’on puisse vivre ! Et après ? Une fois déconfinés, les consommateurs ont tendance à délaisser les marchés…” Nicolas ne cache pas son pessimisme : “Bien sûr, des jeunes se lancent dans l’agriculture et des Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, ndlr) se créent. Mais comment arriver à mieux développer ces structures pour qu’elles soient viables ?”, se demandent-il.
3. Maxime Crozier – viande limousine et œufs (Coise)
Quelque 1200 poules de son élevage viennent d’être abattues… Lors d’un contrôle inopiné, les services sanitaires ont détecté des traces de salmonellose dans des fientes. “Les petites exploitations comme la mienne ne peuvent pas être comparées aux industriels, souffle-t-il. On en paie le prix lourd.” La faute à la législation qui interdit aujourd’hui les analyses contradictoires, ce qui aurait entraîné, sur notre territoire, l’abattage de 430 000 poules ces cinq dernières semaines. “il a plu, la salmonelle, qui est très souvent présente dans les petits élevages familiaux, se développe avec l’humidité, explique-t-il. Mais ce n’est pas parce qu’on en trouve dans les fientes qu’il y en a dans les œufs. En matière de sécurité sanitaire, on va peut-être un peu loin.”
4. Véronique Laby – viande et œufs (Brignais)
Véronique a repris en 2008 la ferme de sa mère : elle élève 70 vaches de race limousine. “A l’aube de mes 40 ans, j’ai décidé de devenir agricultrice, raconte-t-elle. D’abord éleveur sélectionneur, c’est-à-dire en élevant des veaux ou des femelles pour la reproduction. Mais je me suis rendu compte que ce système n’était pas viable. J’ai donc dû trouver d’autres moyens pour valoriser mes productions.” Elle se lance alors dans la vente directe sur les marchés. Dont celui de la Jamayère, qu’elle a créé il y a quatre ans et demi, avec d’autres producteurs locaux. Un succès. “C’est compliqué de concilier ce type de vente avec le quotidien d’un troupeau et ses imprévus, la charge de travail est énorme. Mais j’aime transmettre, parler de mon métier, l’expliquer aux consommateurs qui viennent directement à moi.” Mais la vie d’un agriculteur n’est pas un long fleuve tranquille et Véronique a dû modifier ses habitudes : “Les épisodes de sécheresse que nous connaissons depuis deux ans, m’obligent à faire pâturer mes vaches dans les alpages.” L’éleveuse pointe aussi du doigt la difficulté d’accéder aux appels d’offres pour la restauration scolaire qu’elles jugent trop compliqués. “On n’est pas toujours bien formés ou informés, dit-elle, contrairement aux grossistes ou aux centrales d’achats.”
Maraîchage et arboriculture (légumes et fruits)
1. Eric Dominique – fruits rouges (Thurins)
Pour ses fruits répartis sur 15 ha, à Thurins, Eric a lui aussi fait le choix du “circuit court”, via le magasin de producteurs “Un dimanche à la campagne” pour le quart de sa production, et le reste en supermarché. “Mais je suis inquiet pour l’agriculture”, lance-t-il. Inquiet quant aux transmissions d’exploitations, surtout dans l’arboriculture qui souffre d’une “mauvaise image de marque avec ses pulvérisateurs pour soigner nos arbres et nos fruits”. Inquiet aussi quant à la situation économique, “compromise par le changement climatique : les coups de vent, les tempêtes, le gel…”. “Quand on perd une récolte, il faut attendre la suivante, l’année d’après”. Inquiet encore quant à la gestion de l’eau : “Le fait est qu’on perd chaque année des surfaces agricoles, les cultures sont arrachées pour laisser des terrains en friche”, explique-t-il. Du coup, Thurins, capitale de la framboise, n’en produit plus que 100 tonnes alors que les autres pays 40 000 tonnes !” Et que penser des statistiques selon lesquelles quatre emplois disparaissent quand un hectare de terrain agricole disparaît…
2. Grégory Moretton – plançon et maraîchage (Saint-Martin-en-Haut)
Pour les horticulteurs, le confinement est douloureux… Installé à Saint-Martin-en-Haut depuis 2012, Grégory a connu des jours meilleurs. “Début mars, lors du premier confinement, on nous a interdit toutes nos ventes. Puis on a obtenu l’autorisation de vendre nos plans de légumes en avril, mais les fleurs restent interdites. Aujourd’hui, nous sommes en train de remettre en culture, sans savoir si nous pourrons vendre ce que nous allons produire… Nos produits ne sont pas essentiels mais sont périssables.”
3. Stéphanie Mas – maraîchage (Thurins)
Une nouvelle histoire de reconversion qui fait chaud au cœur. Stéphanie a tiré un trait sur son métier d’éducatrice spécialisée pour se consacrer entièrement au maraîchage. Emma a rejoint André Berne qui aspire enfin à une retraite bien méritée, à Thurins. Ensemble, ils tentent de trouver de nouveaux débouchés pour assurer l’avenir de l’exploitation. “Un sacré combat”, dit celle qui compte aussi développer la vente directe : “Les Paniers des Vallons” comptent à ce jour une centaine d’adhérents. Après l’embellie liée au confinement, il faudra tenir bon… Elle aussi estime que la restauration scolaire “ne joue pas le jeu” des petits producteurs. Interpellé par un tel jugement, Claude Claron, le maire de Thurins, qui assiste au débat, lui propose de la rencontrer en mairie. “Il faudra sans doute s’appuyer sur l’intercommunalité pour améliorer la situation”, estime l’élu. Une observatrice juge les tarifs des cantines trop bas et estime que la matière première est bradée, de l’ordre d’1,50 € sur un ticket à 4€. Comment un petit producteur peut-il répondre ?
Apiculteur et autres productions
1. Cendrine et Eric Testard – apiculteurs (Montromant et Yzeron)
Anciens professeurs de plongée, Cendrine et son mari Eric ont souhaité eux aussi changé de vie, en remontant à la surface pour une activité plus terre à terre. Ils se sont piqués au monde de l’apiculture dans les Monts du Lyonnais où ils ont installé leurs ruches. Ils ont vite compris que le projet n’était pas viable à deux : aujourd’hui, Cendrine est la seule à gérer l’exploitation, “Eric m’aide pour la manutention”, confie-t-elle. Pas de quoi décourager l’apicultrice qui butine à travers la région : elle vend son miel et autres produits dérivés (pains d’épices, savons, coffrets cadeaux…) aux épiceries locales, dans les Amap et dans les marchés, comme celui de la Jamayère. “La marque Monts et Coteaux” nous aide aussi pour valoriser nos productions en offrant une belle visibilité, souligne-t-elle. Nous allons pouvoir profiter de “drives” grâce à elle.” Cendrine a d’autres projets : confectionner une vinaigrette à base de miel (“la recette est à peaufiner”) et surtout, accueillir des groupes dans sa ferme et organiser des visites pédagogiques.
2. Elisabeth Yvorel – plantes aromatiques et médicinales (Saint-Genis-l’Argentière)
Un autre exemple de reconversion. En test depuis trois ans, Elisabeth va officiellement lancer son entreprise en début d’année prochaine, après avoir passé un brevet spécialisé et pas mal de formations auprès de diverses structures et autour des plantes aromatiques et médicinales. “Mais le diplôme d’herboriste a disparu, sous la pression des lobbies pharmaceutiques, déplore-t-elle. Je connais les vertus des plantes mais je n’ai pas le droit d’en parler à mes clients ! Ce blocage législatif complique la pratique de nos métiers.”