Entretien avec Thomas Gassilloud, député du Rhône, membre de la Commission d’information sur l’opération Barkhane, par Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS, responsable du programme Afrique/s
Thomas Gassilloud est député du Rhône depuis 2017. Membre de la majorité (groupe Agir ensemble), il siège à la Commission de la défense nationale et des forces armées. Spécialiste des questions de défense, de l’Afrique et du numérique, il fait notamment partie de la commission d’information sur l’opération Barkhane diligentée par l’Assemblée nationale. Il nous livre son point de vue sur l’action française au Sahel. Entretien avec Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS, responsable du programme Afrique/s.
Quelle est la genèse et quels sont les objectifs de la mission d’information, diligentée par l’Assemblée nationale, sur l’opération Barkhane à laquelle vous appartenez ? En quoi ses conclusions peuvent-elles infléchir les décisions prises par le gouvernement et notamment le chef de l’État eu égard à ses prérogatives souveraines en matière de défense et de sécurité extérieure ?
La mission d’information Barkhane résulte d’une volonté de la commission d’examiner l’action de la France au Sahel après que mon groupe politique « Agir ensemble »[1] s’est saisi de ce sujet lors de l’examen des crédits de la mission défense en octobre dernier. 2020 fut une année très dense au Sahel, qu’il s’agisse du sommet de Pau avec la décision du surge (augmentation du contingent français de 600 hommes) ou du coup d’État au Mali, il était donc nécessaire de lancer cette mission d’information afin que la représentation nationale soit à jour sur ce sujet.
Notre Ve République permet au chef de l’État d’engager seul la force. Dans un monde terriblement instable, cette spécificité permet à la France de peser dans le concert des nations et de s’imposer comme une puissance. Le succès de Serval en 2013 a été scruté et analysé par nos alliés et nos concurrents. Il a été possible grâce à l’extraordinaire savoir-faire de nos armées, mais aussi par la capacité de notre pays à engager rapidement la force.
En contrepartie, le parlement doit mener un travail approfondi et d’exigence. Cela permet déjà de nourrir le débat politique, d’explorer des champs qui auraient pu être omis dans notre approche globale, mais aussi de mener un exercice pédagogique à vocation plus large sur la pertinence et les raisons de notre engagement.
Comprenez-vous la vive réaction des chercheurs suite à l’invitation pour audition de M. Lugan ?
Je comprends que les approches qu’il défend suscitent un débat vif au sein de la communauté des chercheurs. Cependant, construire un avis objectif nécessite d’écouter une pluralité de points de vue. C’est le cas avec le panel de chercheurs qui sont auditionnés.
Vous défendez une ligne au sein de la majorité « rester autrement ». Qu’est-ce que cela signifie ? Comment en êtes-vous parvenu à cette conclusion ?
Trop souvent sur la question sahélienne, le débat se polarise autour de deux options : partir ou rester.
Pour construire mon opinion de manière indépendante sur la question sahélienne, j’ai mené un intense travail depuis plus de deux ans. Après plusieurs déplacements au Tchad, au Mali, en Mauritanie, mais aussi au Sénégal, et des dizaines d’entretiens, il m’est apparu nécessaire de proposer de “rester autrement” au travers d’une stratégie fondée sur la responsabilité, la souplesse et la discrétion.
Responsabilité, car la réconciliation nationale, le développement et les réformes de gouvernance sont les conditions sine qua non d’une résolution de crise durable et, tous, sont aux mains des Sahéliens eux-mêmes. Nous ne pouvons qu’appuyer leurs initiatives et non les mener à leur place. Souple, car la présence militaire française et européenne au Sahel doit muter pour durer. Discret enfin, car nous devons trouver un juste positionnement qui nous permet de défendre nos intérêts, d’assumer nos responsabilités tout en mettant au premier plan nos alliés africains.
Quel(s) avenir(s), selon vous, pour la France au Sahel ?
Nous avons une responsabilité et une histoire forte dans la zone ; l’amitié franco-sahélienne demeurera dans le temps long et je ne crois pas à un sentiment anti-français dans la zone, même si certains tentent de développer un discours anti-français.
C’est un signal qu’il faut entendre. Nous sommes confrontés à l’une des grandes lois de l’histoire : dans le regard d’un peuple, toute force étrangère libératrice devient, après quelques années, une force d’occupation. Le choix du surge au sommet de Pau par le président de la République a permis de sauver une seconde fois le Sahel. Mais, la marge de manœuvre stratégique que nous avons durement gagnée doit maintenant être habilement utilisée.
C’est pourquoi je propose d’ouvrir un troisième acte, qui doit avant tout être celui de l’appropriation par les Sahéliens, appuyés par une Europe plus unie. Tout l’enjeu consiste désormais à calibrer le niveau de nos forces au juste niveau nécessaire pour prévenir toute réédition d’une attaque similaire à 2013, traiter les cibles à haute valeur ajoutée et empêcher la constitution de zones refuges de djihadistes.
Il me semble désormais temps de tendre vers un dispositif militaire, avec moins de grandes bases, articulé à terme autour de forces agissant en soutien des forces sahéliennes. Pour faire simple, moins de Barkhane, plus de Sabre et plus de Takuba. Ce rééquilibrage des forces doit s’accompagner par les autorités sahéliennes des réformes nécessaires pour un retour de l’État, et d’un bon État, sur l’ensemble des territoires.
[1] Groupe de la majorité, soutien du gouvernement et allié de LREM.